A la découverte du plus grand système agroforestier d'Europe: la dehesa ibérique
Publié le 9 Avril 2012
Nous avons passé quelques jours à Plasencia dans la région d’Extremadura, en compagnie de Gerardo Moreno qui nous a fait découvrir la dehesa : son fonctionnement, sa gestion et son importance.
Gerardo Moreno Marcos, Chercheur forestier spécialiste de la Dehesa
(Ingeniería Técnica Forestal
Dpto. Biología Vegetal, Edafología y Ciencias de la Tie rra
Universidad de Extremadura)
La dehesa s’étend sur près de 4 millions d’hectares entre l’Espagne et le Portugal. Elle représente le plus important système agroforestier d’Europe.
La dehesa, qui s'étend à perte de vue
C’est
un écosystème artificiel relativement récent. Gerardo le qualifie de « savane anthropique ». La dehesa est le
résultat d’un éclaircissement de la forêt méditer ranéenne pour les besoins des agriculteurs et des éleveurs de la région. On y trouve principalement du chêne vert et du chêne liège à une densité de 10 à 50 arbres
par hectares. Cette forêt ouverte est gérée de manière extensive pour l’élevage. Les bovins, ovins, caprins et
porcins y pâturent, ils se nourrissent d’herbes, de feuilles et de glands. Certains espaces sont cultivés en céréales qui sont souvent laissées sur place et mangées par les animaux. Parfois, lors
des bonnes années, elles sont récoltées.
Photo: Chênes verts clairsemés de la dehesa
La surface d’une exploitation en dehesa peut atteindre plus de 1000 hectares! Nous avons, par exemple, rencontré un propriétaire qui possède 850 hectares pour l’élevage de 200 bovins.
Le Chêne liège
L’extremadure est une grande région productrice d e
liège. Sur un chêne liège, on récolte
le liège tous les 10 ans. Cette
récolte se fait par prélèvement de plaques, décollées du tronc de l’arbre. Les
plaques sont mises à
sécher sur la parcelle, puis, une fois sec, le liège est transporté à l’usine où il est plongé dans de l’eau
très chaude afin de pouvoir l’assainir et l’aplatir. Il est ensuite utilisé à 80% pour la fabrication de bouchons et le reste, lorsqu’il est de mauvaise qualité, est aggloméré pour l’isolation.
On peut faire jusqu’à 20 récoltes sur la vie d’un arbre.
Liège en coupe, à la surface de l'écorce
Chênes lièges marqués par la dernière récolte
La régénération
La majorité des chênes de la dehesa ont entre 100 et 200 ans. Sur certaines exploitations le plus jeune arbre a 50ans ce qui remet en question la pérennité de ce système. Gerardo nous a beaucoup parlé de ce problème de régénération et la plupart de ses recherches p ortent aujourd’hui sur ce sujet.
Il y a encore 50 ans, les animaux quittaient la dehesa lors de la saison estivale pour s’en aller pâturer dans la montagne, ce qu’on appelle la transhumance. De nos jours, cette pratique tend à disparaître. Les animaux restent toute l’année dans la dehesa, ce qui laisse donc moins d’opportunités aux glands de redonner un chêne. Il faudrait établir une rotation pour laisser le temps aux pousses de chênes de devenir assez robustes pour supporter la pression des animaux. De manière artificielle, il est toujours possible de replanter et de protéger de jeunes arbres, mais le coût est bien supérieur à celui d’une régénération naturelle. Aujourd’hui l’Etat finance les replantations, mais n’aide pas une diminution de la densité animale qui permettrait une repousse naturelle.
Jeunes pousses de chênes protégées par des broussailles
Les animaux de la dehesa
Les productions animales de la dehesa peuvent être à forte valeur ajoutée. On y trouve des élevages du
« toro bravo », taureau des arènes de corrida, les « vacas negras ibericas », vaches locales, et les porcs noirs ibériques, dont le kilo de viande peut se négocier jusqu’à
100€. Le plus souvent, les races locales sont croisées avec des races à viande comme le charolais afin d’augmenter la production tout en conservant une bonne rusticité essentielle à
l’adaptation aux conditions d’élevage. Nourris en partie par la végétation naturelle en herbacées et les glands tombés au sol, les animaux grandissent plus lentement et développent une viande à
la saveur particulière.
Vaches et cochons pâturent au milieu des arbres
Les moutons, chèvres et chevaux trouvent aussi leur place dans la dehesa. Chaque exploitation possède des retenues d’eau pour l’abreuvement du bétail. La ration alimentaire est généralement complétée par du concentré et de la paille. Parfois, une partie de l'exploitation est cultivée en céréales, qui sont également pâturés par les animaux, en complément.
La dehesa est aussi le refuge d’espèces protégées ou en voie de disparition, comme la cigogne noire.
La gestion du bois de chêne
La croissance de ces arbres étant lente, les tailles du houppier sont très espacées, en moyenne tous
les 10 ans. Traditionnellement, les tailles étaient réalisées à la main, à raison de quelques arbres par semaine. Les branches
vertes pouvaient être données à manger aux animaux, ou servaient de bois de chauffage pour l’exploitant. Aujourd’hui, les arbres sont taillés mécaniquement à la tronçonneuse. La taille
est plus rapide, mais la chaleur
dégagée abîme les cellules du bois qui perdent leur capacité de cicatrisation. L’autre inconvénient est la quantité de branches produites, en général trop importante pour la consommation
animale ou le chauffage individuel. Alors, que faire de ces tas de branches ? Certains produisent du charbon, à moindre valeur calorifique mais plus transportable. D’autres laissent les
tas en place, pour servir de berceau à de futurs chênes, ainsi à l’abri du bétail (mais pas des mulots !).
Taille récemment réalisée sur les chênes